Pour la 3ème année consécutive j’ai eu la chance d’assister au concours interne de promotion des danseuses de l’Opéra de Paris. C’est l’occasion de suivre leur évolution et de découvrir leur personnalité artistique.
La journée démarrait à 10h par le concours des jeunes quadrilles. Autant vous dire que mon réveil a été difficile après avoir dansé la veille à la Nouvelle Seine. Mais ni une ni deux, j’ai attrapé mon carnet de note, mes jumelles de théâtre, mon critérium et j’ai foncé vers Garnier à demi endormie.
Cette fois-ci, j’étais placée à l’amphithéâtre, c’est-à-dire à deux doigts du plafond de Chagall. Ce n’est certes pas la meilleure place mais cela m’a permis d’être au beau milieu de tous les petits rats de l’école de danse de l’Opéra, ceux que l’on voit avec délice dans les émissions qui leurs sont consacrées à Noël. Écouter ces jeunes adolescents discuter et les voir observer si attentivement leurs ainés était passionnant. Et que le lustre de Garnier est gros quand on est à sa hauteur !
Mais venons en aux faits…
Le cas d’Héloïse Bourdon
Héloïse Bourdon m’avait subjuguée il y a deux ans lors de sa variation libre et je la suis depuis avec beaucoup d’intérêt. Cette année je l’ai vue dans la Bayadère en Nikiya et en Reine des Wilis dans Giselle. Elle était magnifique et émouvante. Mon amie Sorrel qui m’avait accompagnée la voir dans la Bayadère avait aussi eut un coup de cœur pour celle en qui elle voyait toute la grâce romantique des ballerines du siècle dernier.
Pour autant, lors ce ce concours et alors que beaucoup l’imaginait déjà accéder au poste de 1ère danseuse, tout ne s’est pas passé comme prévu. Dans la variation imposée, elle a eut une petite faiblesse technique, assez étonnante de sa part (elle a sauté sur demi-pointe et non sur pointe dans une difficile/pénible diagonale de ballonnés). Était-ce dû au stress ? À une douleur ? En tout les cas, cela a dû fortement la pénaliser pour le concours.
Côté variation libre, elle a fait un choix plutôt étrange en dansant la variation de la servante dans La maison de Bernarda de Mats Ek. Je m’attendais à être emportée par sa présence et à retomber amoureuse, mais rien n’est venu et pour ma part je n’ai pas réussi à décoller. Cette danse ne la mettait pas particulièrement en valeur techniquement et d’un point de vue artistique, je ne l’ai pas trouvée complètement engagée.
À la fin de leurs passages, les danseuses saluent le jury dans l’esprit de la chorégraphie présentée : de manière classique suite à une Cendrillon ou une Juliette, de façon sobre après une chorégraphie de Béjart, etc. Héloïse Bourdon les a donc salué comme une servante, conformément au rôle qu’elle avait choisi. Son salut m’a semblé sec et teinté de ressentiment. Était-ce l’esprit du rôle ou de son interprète ? Je ne sais pas. Mais de l’ensemble de sa prestation, j’ai eu une impression d’auto-sabotage, c’est bien sûr un avis très subjectif, vu du haut du poulailler.
Sae Eun Park
Du coup, c’est Sae Eun Park qui a gagné le concours des sujets. Elle a dansé sa variation imposée de façon impeccable et m’a soufflée dans sa variation libre, le Grand Pas de l’Acte II de Paquita.
Elle a surgi du fond de la scène et s’est lancée dans une diagonale de grands jetés extraordinaires. Autour de moi j’ai senti que tous avaient le souffle coupé : elle volait littéralement et retombait sans aucun bruit sur scène. Après cette série de sauts, j’ai entendu quelques « Okay… » et autres « Waouh » discrets. J’ai moi-même échangé un regard médusé avec ma voisine.
À chaque fois que j’ai vu Sae Eun Park sur scène ou en concours, j’ai toujours trouvé qu’elle donnait le sourire. Elle semble appartenir à un autre monde, elle a quelque chose de simple et de joyeux qui est plutôt rare par chez nous. J’étais donc très contente en apprenant sa promotion et de mon humble avis, je l’ai trouvée juste.
Pour la petite histoire, Sae Eun Park était danseuse à l’American Ballet Theater puis à l’opéra national de Corée avant d’intégrer le corps de ballet de l’Opéra de Paris où elle a gravit très rapidement tous les échelons, concours après concours.
Mais aussi
- J’ai été ravie de revoir danser Ida Viikinkovski dans le rôle d’Esméralda, dans la variation de l’Acte I de Notre Dame de Paris. J’avais dit à ma voisine à la pause déjeuner : « Tu vas voir, on dirait Grace Kelly ». Je ne sais pas si elle a partagé mon avis, mais je suis encore tombée sous le charme du regard de cette danseuse. Si, pour être tout-à-fait honnête, elle ne m’a pas absolument transportée dans sa variation, je lui ai trouvé une belle assurance et beaucoup de sex-appeal. C’est l’une des rares qui, selon moi, « bouffe » la scène sans peur. À suivre !
- J’ai aussi aimé la prestation de Marion Barbeau dans la 2e variation d’Other Dances de jerome Robbins et je me souviens l’avoir aussi aimée lors des autres concours. Elle a été classée 2de cette fois-ci, voila qui doit être encourageant. Go Marion !
- Et puis Éleonore Guerineau, que j’avais vue dans Giselle cette année, m’a plu aussi, en Robbins, toujours. Elle a su mettre de l’oxygène dans ses mouvements et les suspendre avec grâce. Ce que j’aime dans Other Dances, c’est cette impression de corps emporté par le vent, qui tourbillonne dans la mousseline de soie vert tendre, les bras qui prolongent les mouvements et sortent du cadre des placements académiques et le côté improvisé et naturel (voire naturaliste ?) de la chorégraphie. Élénonore Guerineau a réussi à amener tout cela et elle a été classée 3ème.
Les résultats des Sujets :
- Sae Eun Park, promue Première danseuse
- Marion Barbeau
- Éléonore Guérineau
Coups de cœur et découvertes
Chez les Quadrilles
Cette classe a eu le pouvoir de me réveiller, j’ai trouvé ces danseuses pétillantes, assurées et très enthousiasmantes.
Sofia Rosolini
Ma préférée, très certainement ! Bien que d’un point de vue technique elle ne m’ait pas semblé impeccable, je l’ai adorée. Ses jambes et ses bras paraissent interminables et dans sa variation libre In the middle, somewhat elevated, elle était à tomber. Sauvage, féline ,énergique, elle m’a fait vibrer. J’ai su grâce à un petit rat devant moi qu’elle était plus âgée que les autres candidates puisqu’elle avait 26 ans. Et bien l’âge peut avoir du bon mesdemoiselles ! Ici son compte Instagram : Sofia Rosolini.
Le Grand pas de Twyla Tharp
Laure-Adélaïde Boucaud l’avait choisi l’an passé et j’avais adoré cette chorégraphie. Cete année c’est Marion Gautier De Charnacé qui l’a dansée et j’ai aussi été emportée. Bon dieu qu’est-ce que cette variation peut-être rafraîchissante et sexy. J’aimerais beaucoup vous la montrer en vidéo, mais impossible d’en trouver une seule sur internet.
Awa Joannais
Cette jeune danseuse a choisi la variation de l’élue du Sacre du Printemps de Maurice Béjart et son interprétation m’a bluffée. Elle était totalement habitée et peut-être pour la seule fois de ce concours, j’ai eu l’impression d’assister à un ballet entier en regardant un de ses extraits. Ses contractions étaient fortes et elle était bien ancrée dans le sol. Malheureusement elle n’a pas été classée. Mais je suivrai de près Awa Joannais lors de ses prochaines distributions.
Les résultats des Quadrilles :
- Camille Bon, promue Coryphée
- Claire Gandolfi
- Ambre Chiarcosso
- Caroline Osmont
- Camille de Bellefon
- Amélie Joannidès
(Soit aucune de mes trois préférées)
Chez les Coryphées
À vrai dire, je me suis un peu ennuyée pendant l’épreuve des Coryphées, était-ce à cause de l’effet soporifique de leur variation imposée (variation d’Aurore de l’acte I de La belle au bois dormant par Rudolf Noureev) ? Ou du fait de mon manque de sommeil qui commençait à se faire sentir ? Toujours est-il que je n’ai pas pris beaucoup de notes pendant leurs passages.
Mais j’ai quand même remarqué :
Roxane Stojanov
Si cela n’avait tenu qu’à moi, je lui aurai donné le poste de sujet. C’est l’une des seules qui m’a réveillée sur sa variation imposée et son choix de variation libre ne pouvait que me plaire : Bhakti III de Maurice Béjart. J’avais déjà beaucoup aimé cette variation dansée il y a 2 ans par Marion Barbeau et cette fois-ci encore, j’ai succombé à l’académique rouge et à la musique indienne. Mention spéciale aux très longues jambes de Roxane Stojanov, à l’allongement de ses mains et à la précision de ses « mudras ». Vous pouvez voir ce passage à 6,25 minutes, il me fait complétement vibrer :
Alice Catonnet
Cette danseuse m’a donné l’occasion de voir pour la première fois un extrait des Joyaux de Balanchine, en interprétant la 1ère variation de l’émeraude. Comme une pie, j’ai été captivée par son rutilant diadème et puis je ne peux pas résister au charme de la musique de Gabriel Fauré. Je suis faible… Mais rendons aussi hommage à la performance d’Alice Catonnet, que j’ai trouvé très belle et qui a su charmer le jury puisqu’elle a décroché la place de Sujet. Bravo !
La variation de l’Émeraude dansée par Clairemarie Osta :
Les résultats des Choryphées :
- Alice Catonnet, promue Sujet
- Letizia Galloni
- Roxane Stojanov
- Sophie Mayoux
- Jennifer Visocchi
- Juliette Hilaire
Du burlesque à Garnier ?
Il faut que je vous dise… Pour la première fois sous le gros lustre de Garnier, j’ai eu parfois l’impression d’assister à un show burlesque.
Strip-tease dans la Maison de Bernarda
Dans la variation de la sœur bossue de La maison de Bernarda, Charlotte Ranson arrive voutée dans un affreux costume. Mais surprise, la voilà qui arrache sa robe au bout de trois pas. Certes, nous autres effeuilleuses/eurs aurions-nous fait durer un peu plus le plaisir, mais il n’empêche, la belle Charlotte danse tout son « numéro » dans un académique chair transparent sur lequel sont peints un triangle noir sur son pubis et deux tétons rouges sur ses seins. Il y a de l’idée…
Stage Kitten, please!
Évidemment, il a fallu ramasser le haillon laissé sur scène et c’est la dame très sérieuse en tailleur noir qui annonçait le début des festivités une heure avant qui est revenue pour débarrasser le plateau.
Il a aussi fallu qu’elle vienne installer un « prop » pour Héloïse Bourdon, toujours pour La maison de Bernarda : un fauteuil humanisé dont les quatre pieds portaient des souliers d’homme (on le voit à 1,44 min dans la vidéo). Je crois me souvenir que j’ai vu ce ballet il y a longtemps et de mémoire je ne l’avais pas trop aimé. Mais suite à ce concours, j’aimerais bien lui redonner une chance !
Enfin, il y eut ce moment comique, appréciable au sein de tant de tension, où la Stage Kitten fut appelée suite à la variation de Nikiya. Séverine Westermann qui venait de la danser, avait fait tomber de son petit panier une fleur blanche. Elle était toujours sur le devant de la scène quand Marion barbeau devait présenter sa variation libre. Alors, une voix venue du parterre s’est élevée. De là où j’étais, impossible de comprendre ce qu’elle disait. Mais j’ai vu notre Stage Kitten préférée revenir au pas de course sur scène et se précipiter sur la pauvre fleur pour vite la ramasser. Si l’an prochain il y a des jets de paillettes, je crains qu’elle ne soit débordée par les événements…
Public, détends-toi !
Assise au beau milieu des jeunes de l’école de danse, je voyais certes des étoiles en herbe mais aussi et surtout de jeunes prépubères en pleine tempête hormonale. Des garçons de 12 ans au visage encore poupins, d’autres déjà plus avancés, certains au bras de leur petite copine (une jeune couple devant moi était complétement fusionnel, lui se collait sans cesse à sa Juliette et se retrouvait toujours avec quelques cheveux coincés dans la montures de ses lunettes). J’ai surpris quelques regards en coins, entendu quelques approches maladroites, bref, tout ce qui fait la splendeur et les misères de l’adolescence.
Mais là où c’est devenu particulièrement intéressant, c’est quand j’ai perçu leur légère gêne devant les variations les plus sexy, qu’elles soient un peu déshabillées comme dans Mats Ek ou moins académiques dans leurs attitudes comme dans le Sacre du Printemps ou le Grand Pas de Twyla Tharp. Regardant ces danseuses qui se révélaient dans quelque chose de plus féminin et sauvage, je les entendais presque penser : « Ah ouais, il faut oser quand même ! »
Et je me suis dit que d’une part ils étaient jeunes et que d’autre part l’institution de l’école de danse de l’Opéra ne devait pas vraiment contribuer à les libérer… Mais je sur-interprète peut-être.
Toujours est-il que cette journée m’a grandement inspirée pour mon spectacle du samedi soir, en dansant mon numéro de L’amour sorcier, j’avais un peu l’impression d’être dans la Bayadère et miracle des neurones miroirs, je me sentais plus stable dans mes tours. Il suffit d’y croire, promis.
Last but not least
Je ne peux pas résister à l’envie de partager avec vous une dernière histoire. En me connectant à twitter pour suivre l’évolution des commentaires de la balletosphère suite aux résultats du concours, je commente une photo de Sae Eun Park, postée par Leonore Baulac, 1ère danseuse de l’Opéra :
Et le lendemain je découvre, comme un cadeau au pied du sapin, cette réponse de Lénonore Baulac :J’ai cru rêver ! Je suis d’ailleurs encore sur un nuage… Je vous laisse chers lecteurs, le wifi se capte mal de là-haut !
Ah, je l’attendais avec impatience, cet article! Merci de nous faire partager tout cela.
J’adore la danse classique, et en même temps, je la déteste: son côté sublime et destructeur à la fois, cette quête perpétuelle d’un idéal de perfection… c’est ce qui me fascine dans la danse classique et c’est ce qui m’a poussée à arrêter de la pratiquer.
Merci Alia !
C’est vrai que c’est un univers absolument fascinant et excitant. Je ne m’en lasse pas !
… Ou en tout cas beaucoup moins vite que des exercices de barre au sol ;)
suis une « ancienne » de l’opéra Garnier,et attirée par cet article …et bien plus …je retrouve avec beaucoup de plaisir le résultat du concours d’entrée au ballet et tous les articles de sucre d’orge ,de bons reportages,de trés belles photos bref…merci et bravo pour ces « nouvelles » sur une danse dépoussiérée et attachante !
Oh merci beaucoup ! Je suis ravie que cette lecture vous plaise,
je vais sûrement me remettre à écrire un peu sur ce journal dans les mois à venir, et un tel commentaire m’encourage !
Merci