Quand je lis que le sourcil fourni est à la mode, je me réjouis. Mais quand je vois lesdits sourcils fournis dans les magazines, je reste perplexe. Nous n’avons pas, Madame Figaro et moi, la même définition de ce que l’on appelle une « belle matière ».
Le complexe de Churchill
Appelé aussi complexe d’Emmanuel Chain.
S’il y a bien quelque chose que je tiens de mon père, c’est sa ligne de sourcils gribouillée au fusain. Je ne me souviens pas vraiment du moment où mes sourcils ont commencé à se garnir, mais j’ai pris conscience de leur présence en regardant les photos de mes galas de danse. Les plans serrés étaient ravageurs : deux grands arcs de cercle bien noirs, aux limites floues et au dessin des plus surréaliste.
Avec l’adolescence a commencé une lutte sans fin contre le poil. Elle aurait pu figurer en bonne place aux côtés des supplices mythologiques grecs. S’il avait vu ces poils vaillants pointant chaque jour sous mes paupières, Sisyphe aurait rougi devant la légèreté de sa tâche !
Brooke Shields es-tu là ?
Alors que mes sourcils étaient devenus un complexe, j’ai fait une rencontre troublante lors d’un séjour à Londres en seconde. Je flânais avec ma meilleure amie au rayon cosmétique d’un grand magasin (on ne se refait pas) et nous étions fascinées par le stand Shiseido (on ne se refait pas, bis). Le maquilleur a souhaité nous faire essayer un brillant à lèvre et en s’approchant de moi pour l’appliquer, il s’est écrié : « Oh my God, you have beautiful eyebrows! »
J’étais très gênée qu’il parle si ouvertement de ces sourcils tabous face à mon amie. J’étais aussi très étonnée d’un tel jugement. « Eyebrows, eyebrows… Ca veut dire sourcils, tu es sûre ? » me demandait ma copine, tout aussi perplexe que moi (ndlr : elle aurait pu un peu mieux cacher sa surprise !). Comment était-il possible de les trouver beaux, ces deux balais-brosses tout noir ?
Je reconnais que ce verdict m’a fait chaud au cœur, j’avais l’impression de rencontrer une bonne fée m’annonçant ma métamorphose à venir en cygne blanc.
Mais à cette époque, honte à moi, je ne connaissais pas encore mes grandes sœurs de sourcil comme la belle Brooke Shields et j’étais bien incapable de me réjouir de tous ces poils. Je continuais donc la chasse aux bulbes pendant quelques années.
Massacre à la pince à épiler
C’est là qu’entre en scène un personnage clé de mon adolescence : l’esthéticienne. Elle avait souvent les cheveux raides méchés de blond, le contour des lèvres immanquablement dessiné de brun et le sourcil discret, voire inexistant.
A ce moment là, je ne croyais plus au Père Noël, mais je pensais tout de même qu’avec un peu de savoir-faire et un bon pochoir, on pouvait tailler dans n’importe quelle broussaille pour en faire émerger une ligne parfaite. Personnellement, j’enviais celle de Catherine Zeta-Jones.
Quand je lui ai demandé les mêmes sourcils que Catherine, l’esthéticienne n’a même pas ri. Elle m’a juste répondu quelque chose comme « Ah oui, on aimerait toutes avoir les mêmes mais… ». Tout était dans son « mais », étiré comme un chewing-gum.
Après vingt minutes de carnage à la cire et à la pince, je suis ressortie avec deux sourcils tout fins, ressemblant à des spermatozoïdes en bout de course. Honnêtement, cela ne m’allait pas du tout. Quand je revois des photos de cette époque, je les trouve vraiment laids et peu naturels. C’étaient les années 1990.
La possibilité d’une ligne
J’ai entretenu longtemps cette ligne moi-même, défrichant les vilains poils chaque soir et délogeant ceux qui s’amusaient à pousser sous la peau en s’exhibant par transparence.
Heureusement, pour m’aider à discipliner les survivants, il y avait le goupillon, ce ravissant petit balais à chiotte bien dru, qui permet de les coiffer d’un coup d’un seul. C’est que mes sourcils étaient foncés et épais mais aussi étonnamment longs, dépassant parfois le centimètre et demi (Churchill sort de mon corps !).
Et puis je suis tombée amoureuse d’Audrey Hepburn et de tout le panthéon des divas des années 1950, aux sourcils bien marqués et j’ai fini par apprécier cette « intensité » du poil, la trouvant originale et racée. J’ai alors réfléchis à deux fois avant d’arracher les miens. C’est ainsi que mes sourcils se sont peu à peu ré-épaissis. Fort heureusement, ils ne m’ont pas tenu rigueur de ces « années cire » et ils ont bien repoussé sans faire de trou.
Shu Uemura mon amour
Pour parfaire ma réconciliation avec mes généreux sourcils, j’ai découvert il y a quelques années le « Mayu kut » de Shu Uemura. Pince, brosse et ciseaux y sont de rigueur, la cire y est proscrite. Les sourcils y sont d’abord observés et peignés et puis chaque poil est retiré ou coupé.
Au bout de 30 minutes, la ligne est claire, le regard ouvert et la symétrie entre les deux sourcils rétablie au mieux. La séance se termine par un léger maquillage de la paupière pour atténuer les rougeurs et quelques coups de crayon pour intensifier la ligne. Autant dire que mes « Churchill » y sont vénérés traités avec tous les égards possibles. Ce sont les premiers à m’avoir conseillée de les préserver pour donner du caractère à mon visage, voire même d’en faire une signature.
J’y vais deux ou trois fois par an pour remettre de l’ordre et écouter leurs bons conseils afin de ne pas saboter le travail une fois de retour dans ma salle de bain. En prime, je profite toujours d’astuces en maquillage et d’anecdotes sur les célèbres clientes de la Rive Gauche.
Maintenant que le sourcil épais suscite l’envie du plus grand nombre, je peux enfin remercier mon cher Papa pour ce don pileux et aider encore un peu le naturel à grands coups de crayon (j’aime particulièrement ceux de chez Shu Uemura).
- Où faire un Mayu kut ?
Shu Uemura, 176 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris. - Faut-il prendre rendez-vous à l’avance ?
Oui ! Au 01 45 48 02 55, demandez Kim, mon chouchou. - Combien ça coûte ?
30 euros. - Suis-je payée pour faire leur publicité ?
Malheureusement non (mais je n’y aurais pas vu d’inconvénient).
J’ai découvert aujourd’hui que tu avais des sourcils, que je n’avais pas pensé à séparer du reste de ton visage ; et en effet que serait Sucre d'Orge sans ses sourcils fournis ? un oiseau un peu fade.
Merci Antoine !
C’est vrai qu’en écrivant cet article et en cherchant des photos où l’on voyait bien mes sourcils, je me suis dit qu’ils n’étaient pas si « spectaculaires » que ça.
Mais ça, c’est aujourd’hui et c’est grâce à Shu Uemura ;)
Je garde au fond de moi un rapport bizarre avec eux, marquée que je suis par ces années de collège où je ne savais que faire d’eux, alors que mes copines avaient de fin sourcils soyeux… Ah…les vieux traumatismes. Tu me diras, il y a pire !
Maintenant, je les aime mieux. Parfois je me demande s’ils ne sont pas à nouveaux trop présents mais je les considère comme ma marque de fabrique, un signature comme une autre…