Retour de Chine

Après une année bien chargée et avant un été tout aussi chargé au festival d’Avignon (double show cette saison avec le Cabaret Canaille et le Fruit défendu), j’ai ressenti l’urgent besoin de prendre des vacances, chose que je n’avais pas faite depuis longtemps. Mon dernier voyage remontait à avant le Covid, quand j’étais partie en Iran.

J’ai hésité à faire ce voyage et à ruiner mon bilan carbone. Mais grâce à la dissonance cognitive, je me suis dit que l’avion partirait avec ou sans moi.

Partir dans l’Anhui

Partir seule en Chine, je l’avais déjà fait, la dernière fois c’était dans le Sichuan. Mais cette fois-ci, j’ai eu un peu peur de ne pas avoir l’énergie de tout préparer moi-même et d’être dépassée par l’usage de la technologie. Dit comme ça ça fait un peu vieux con, mais il faut savoir que l’argent liquide a presque totalement disparu en Chine, qu’on paye tout avec des applis, que l’environnement numérique est totalement différent du notre, etc. Partir demande de se mettre à jour des dernières tendances et ce n’est clairement pas ce que je préfère.

Les montagnes jaunes

J’ai ressorti mon vieux Lonely Planet, plus du tout à jour, et j’ai détaché les pages concernant la région de l’Anhui, à l’Ouest de Shanghai. La province est connue pour les Montagnes Jaunes (黄山 Huang Shan), que l’on voit peintes aux murs des restaurants chinois et ses villages à l’architecture datant de la dynastie Ming classés à l’Unesco.

西递 Xidi

Je suis partie sans me renseigner plus en profondeur. Je ne voulais pas me gâcher toute la surprise: aujourd’hui sur internet on a tellement accès à tout qu’il vaut mieux se préserver un peu. Mais pas trop… Histoire de savoir quand même vers où aller.

Dans les montagnes jaunes

L’Anhui est aussi une province connue pour ses plantations de thé (thé noir Qimen, thé vert Mao Feng). J’ai vérifié ça avant de partir en faisant un saut au Palais d’été et en regardant la provenance de leurs crus. La récolte était déjà finie (mi- mars, mi-avril), mais j’ai pu voir et goûter quelques thés.

Le carnet de voyage

J’ai la chance d’être entourée d’artistes et parmi ielles j’ai nommé Stella Polaris, Sorrel Smith et Zélie Dethorey, maîtresses en carnet de voyage. Stella est partie un peu avant moi en vacances et j’ai vu quelques dessins de son carnet à son retour, ça m’a donné envie de faire pareil.

J’ai fait une descente chez Rougier & Plé (ce magasin c’est le mal, j’ai envie de tout acheter et à la fin j’en ai toujours pour plus de 50 euros sans comprendre comment j’en suis arrivée là avec deux feutres, un carnet et un godet d’aquarelle). J’avais envie de prendre très peu de matériel et surtout des objets petits et légers. J’ai trouvé une mini palette d’aquarelle adorable. La mienne est super, mais elle est plutôt grande et en métal, et j’ai remarqué que ça m’encombrait toujours en déplacement. La palette de voyage avait son pinceau rechargeable à eau, accessoire que je n’avais jamais encore utilisé. En rentrant j’ai échangé quelques couleurs avec mes préférées parmi celles que je possède déjà pour me sentir à la maison. J’ai aussi acheté une mine encre de Chine hyper fine: je n’avais encore jamais tenté, à la maison j’utilise une plume. J’ai aussi pris un feutre pinceau noir et quatre feutres de couleurs choisis de façon instinctive: bleu gris clair, rose clair, vert kaki et marron. J’ai mis le tout dans une mini trousse et j’ai pris un carnet de dessin au papier lisse mais qui supportait l’aquarelle.

Et bien tout a très bien fonctionné. L’ensemble était très léger et compact, le carnet hyper agréable et supportant très bien l’eau, la mine fine super pratique. Pour les feutres, au début je pensais dessiner directement avec, mais finalement, je les ai utilisés pour faire des ombres (en bleu) et des lumières (en rose) et renforcer un peu certaines zones. Le seul dont je ne me sois pas trop servi, c’est le Posca blanc.

Premiers dessins

En arrivant à Shanghai le premier soir, j’ai sorti le carnet pour me faire la main et marquer le début du voyage. Comment dire, le dessin sent un peu la fatigue et le décalage horaire.

Le lendemain à la gare, j’ai dessiné rapidement un thermos de thé. Je pensais au début représenter des petites choses du quotidien. Mais finalement, face aux paysages et à l’architecture, il en a été autrement.

Un thermos de thé vert, un écureuil, des arbres des montagnes jaunes
Depuis une barque sur le lac de Hangzhou

« Une heure volée à la folie du monde »

Dans les montagnes jaunes j’ai commencé à dessiner les arbres les plus touchants que je voyais. Assez vite, je me suis dit qu’il fallait que je passe un peu de temps pour que le résultat commence à être intéressant. Je me suis arrêtée devant un groupe de pins et quand j’ai eu fini il s’était bien écoulé une heure, voire plus. Mais le résultat me plaisait. J’ai continué à faire ça deux ou trois fois par jour, au milieu des chemins, en m’arrêtant soudainement.

Puis je me suis dit qu’à ce rythme là je n’allais pas avancer très vite et que j’étais en train de perdre du temps. D’un autre côté, si je faisais ça plus rapidement, je savais que le résultat serait beaucoup moins bien.

Premier coup de foudre avec des pins

En y pensant, je me suis dit qu’avec ou sans dessin, je ne verrai de toute façon jamais tout ce qu’il était possible de voir en 15 jours, que les vacances c’était pour faire ce qu’on voulait et que dessiner faisait justement partie des choses qui me faisaient plaisir.

Sur la voie nord des montagnes jaunes

J’ai écrit cette réflexion à un ami, en lui disant que j’avais quand même un peu « honte » de m’assoir une heure à dessiner et il a dit une phrase magique qui m’a ensuite guidée:

C’est une heure de gagnée sur la folie du monde

Du coup, quand à 11h du matin je n’avais pas encore dessiné, je me disais, tiens, il est temps de voler une heure à cette journée.

Je n’ai pas pu finir cet arbres car j’ai été intimidée par une famille de singes
Les montagnes disparaissaient au fur et à mesure derrière les nuages et la bruine

Cette pensée m’a vraiment autorisée à prendre du temps. Je me suis répété comme un mantra: je ne m’interdit rien, je ne m’impose rien. C’est-à-dire: je ne m’oblige pas à suivre une ligne artistique, tel ou tel format, tel ou tel style, et si je « rate » c’est pas grave.

Démonstration de pêche, sur le vif, peinte plus tard sur le bateau, sans chercher le détail
Je rêvais de voir la pêche aux cormorans

Les échanges

Quand je dessinais, il y avait toujours des chinois qui s’arrêtaient pour regarder et faire des commentaires: une russe! une américaine! une étudiante en art! ah c’est pas mal… C’est beau regarde! C’est « professionnel »! Professionnel…professionnel… »

La tombée de la nuit sur un pont d’un canal de Suzhou
La rencontre du soir, il vendait des souvenirs autour du canal et voulait m’acheter l’aquarelle, on a sympathisé et il a suspendu pour moi une décoration porte bonheur à l’arbre des vœux quelques rues plus loin
J’ai écrit ma phrase du moment, évidemment

J’ai remarqué que les chinois aiment bien commenter le monde de façon objective, sans rien ajouter de personnel. Par exemple, devant un arbre il y en aura toujours un pour dire : un arbre. Devant une montagne « montagne », dans une plantation de thé « thé », à mon passage « étrangère ». Mais sans jamais donner plus de détails ou d’opinion. Juste le plaisir, l’obligation, de dire les choses. Voir et dire. Donc un dit, et les autres acquiescent en répétant, « étrangère », « étrangère ».

Tang Yuan, mon dessert préféré, une soupe de billes au sésame, on la sert souvent lors des mariages
Une des seules fois où j’ai utilisé le Posca blanc: pour la transparence des verres sur cette table à thé

Parler Chinois

C’est là où je dois vous dire que je parle chinois, ou disons que j’apprends le mandarin depuis longtemps et que cette année j’ai vraiment pu mesurer mes progrès. J’ai beaucoup moins dit 我听不懂(je ne comprends pas) qu’avant, sauf pendant une lecture d’un tirage de Yiqing, mais ça même en français c’est plutôt lunaire.

洞天福地, vers la grotte merveilleuse
Le passage qui fait rêver, non?

Ces moments de dessins, bien loin de m’isoler, m’ont permis de parler avec des passants et des locaux. Dans le petit village de Xidi, c’est tout un groupe de collégiens en voyage de classe qui m’ont entourée en hurlant. Je pense que beaucoup n’avaient encore jamais vu d’occidentaux de leur vie. Ils étaient dans leur uniforme blanc et bleu, comme dans les drama chinois (les séries débiles que j’aime bien regarder pour me donner l’impression de faire du chinois sans effort).

C’est là où j’ai eu l’idée de faire écrire au meilleur calligraphe d’entre eux le nom du village à côté du dessin. Et puis j’ai continué pour chaque lieu, en demandant au propriétaire de la maison que je dessinais, au gardien du jardin de bonzaï, au marchand ambulant qui voulait m’acheter mon aquarelle…

Coup de cœur pour cette habitation
Ces intérieurs avec les petits bassins me fascinent, j’aimerais tellement vivre dans ce genre de lieu. Je ne sais pas si on trouve ça en France…

Souvent les personnes à qui je demandais n’osaient pas écrire de peur de gâcher le dessin.

Encore un bassin intérieur merveilleux, avec ses poissons, ses plantes et ses pierres de collection. J’aime bien la place prise par le minéral dans la décoration chinoise, on ne voit pas ça en occident il me semble.

J’aime beaucoup l’idée d’avoir un peu de l’âme des lieux dans ces calligraphies. C’est étonnant aussi de voir la diversité des écritures. Autre chose amusante, et qui agit comme un baume du tigre pour l’apprenant du chinois, c’est que la plupart devaient vérifier sur leur téléphone les caractères avant de les écrire: ils ne les connaissent pas/plus par cœur. Certains même parfois les écrivaient une première fois sur un brouillon pour être sûrs de pas se tromper.

Dans le village de TangMo, 唐模
Chez les habitants de la maison derrière moi, dont le papy venait souvent voir l’avancée du dessin
Les anciens n’ont pas osé se lancer dans l’écriture, ils ont confié ça à un plus jeune
Avant de me mettre dehors à la fermeture du jardin, le gardien a accepté d’écrire le nom du lieu, jardin du modeste administrateur, à Suzhou

C’est finalement pour ces inscriptions que le feutre pinceau m’a servi. Je ne me suis pas sentie de l’utiliser dans les dessins, il me semblait trop fort et décisif. Au début je leur faisais utiliser la petite pointe fine, mais assez vite une chinoise la tordue en appuyant comme pas permis dessus pour écrire. Je l’avais pas vu venir, en deux traits c’était trop tard… J’ai encore pu l’utiliser mais à la fin du séjour c’était vraiment limite, le trait n’était plus du tout fin.

L’arrivée sur Chengkan, et la calligraphe fatale pour mon stylo
Mon premier dessin « folie », debout 1h30 a essayer de restituer l’architecture dans toutes ses subtilités

J’ai souvent dessiné debout, sans bouger, la palette et le carnet dans la même main, en traçant les lignes à l’encre à main levée, en respirant bien doucement. Je dois dire que cette pratique est très libératrice. Mais à la fin de certains dessins, j’avais froid, faim, la tête qui tournait… Je me disais que j’étais vraiment folle de faire ça. Mais j’étais tellement contente en voyant que le résultat correspondait à mon impression du lieu. J’avais vraiment l’impression d’avoir prélevé un peu de son essence dans un flacon que je pourrai ouvrir à mon retour pour m’y replonger. Je pense souvent à ce moment dans Marie Poppins où ils sautent au dessus de tableaux pour arriver dans leur univers. J’y crois à fond.

Étonnant village à l’architecture bien différente des autres

Je considère le dessin un peu comme la photo: voir, s’arrêter, bien regarder et du coup se créer un souvenir, et en fabriquer une trace matérielle. Mais même sans parler de ce qui reste sur le papier, le simple fait de regarder vraiment suffit à laisser une impression plus forte.

Les plantations de thé vert Long Jin. Elles se situent à Hangzhou, je ne le savais pas…

En dessinant je me suis souvenu des consignes que donnaient les prof de dessins dans les classes où j’ai parfois posé comme modèle: regardez, dessinez ce que vous voyez, n’inventez pas, ne schématisez pas. C’est si vrai. C’est si rapide de dessiner un pommier par réflexe pour faire un arbre.

Bonheur d’esquisser les déplacements des poissons rouges et leurs différentes profondeurs

En Chine, chaque pot de plante est différent des nôtres, les feuilles des arbres aussi, les toits et les couleurs des murs ne sont pas les mêmes, à part le ciel, tout est différent. Je me suis vraiment attachée à accrocher mon regard sur le réel et je crois que c’est pour ça que ça m’a pris tant de temps: je n’avais pas d’image préconçue pour me faire « gagner » du temps.

Ici c’est le propriétaire des cormorans dressés pour pêcher. On leur noue un fil autour du cou pour ne pas qu’ils avalent le poisson qu’ils attrapent. Il paraît que ça leur fait pas mal, mais est-ce qu’ils ont vraiment un jour donné leur avis?

Je dois dire que je suis aujourd’hui de retour à Paris avec l’impression que l’année qui s’est écoulée n’a jamais eu lieu. Ma tête est encore vide de toutes les voix qui l’habitaient avant de partir (même Bernard n’est pas encore revenu de vacances). Mon esprit a été très occupé, mais sur des circuits complétement différents du quotidien, concentré sur les sinogrammes, la langues, les formes, les couleurs et l’aquarelle. En m’endormant je me voyais encore en train de dessiner, ça m’a absolument nettoyée.

Un fils et sa mère, dans le parc du peuple de Shanghaï un dimanche matin.

Les étapes du dessin

Si ça vous intéresse, voici comment je procédais pour faire les dessins :

  • premier dessin au criterium (le tout fin de chez Muji, mon préféré, avec sa formidable gomme), le plus fidèle possible à l’architecture et aux arbres
  • passage à l’aquarelle (joie de voir le papier sécher ultra vite en plein air)
  • repassage à l’aquarelle sur du sec pour renforcer les couleurs
  • dessin au stylo pointe encre, c’est le moment où je me concentrais le plus pour pas tout gâcher
  • parfois repassage de certains points à l’aquarelle
  • sortie des feutres pour marquer et fondre des ombres, accentuer des feuilles, ancrer des arbres et des murs
  • calligraphie !

Je sais qu’on peut aussi tout dessiner à l’encre avant de peindre, je l’ai fait une fois, mais je me suis sentie un peu contrainte et je trouvais le rendu un peu plus bande dessinée.

Une ruelle du vieux Shanghai, avec ses motos, ses tôles ondulées, son chat, son linge et ses fils électriques
Surprise d’assister à un concert dans une maison de thé historique de Tongli. Les artistes ont écrit leur nom. A droite elle joue de la Pipa, c’est le luth chinois.

Je vous laisse avec une sélection de photos de voyage. Si vous avez des questions ou des envies de conseils sur les voyages en Chine (ou les dessins), n’hésitez pas à me les poser en commentaires !

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