20 danseurs pour le XXe siècle

Vendredi dernier, je suis allée voir 20 danseurs pour le XXe siècle, à l’Opéra Garnier. Une expérience particulièrement séduisante conçue par Boris Charmatz. J’espère pouvoir y retourner d’ici le 11 octobre, date de la dernière représentation.
Alléluia, j’ai pu y retourner cette semaine et j’en parle à la fin de l’article !

Crédit photo : Agathe Poupeney / OnP

Sans doute le solo de Nikiya dans la Bayadère. Zut, je l’ai raté ! Vu lors de ma 2ème venue !

Le concept

A 18h les portes de l’Opéra Garnier s’ouvrent aux heureux spectateurs. La petite foule se bouscule au portillon de sécurité avant de se retrouver face aux grands escaliers, en prise avec plusieurs sentiments :

  • L’admiration béate devant l’architecture du lieu, qui tend à l’immobiliser, un peu timide, sous les dorures et le marbre.
  • L’impatience, digne d’un dimanche de Pâcques, qui l’incite à faire fi des convenance pour dénicher au plus vite les danseurs derrière les colonnades et dans les petits salons.
  • À ces deux mouvements contraires, je rajouterai l’ambigüe, l’indécise et la très moderne Fear Of Missing Out : la peur de ne pas tout voir, de devoir choisir entre deux solos simultanés et de rater par la même le meilleur en restant là où l’on est.

En effet, 20 danseurs occupent l’Opéra, en tenue de répétition, ipod à la main, prêts à enchainer les solos les plus marquants du 20ème siècle.

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Le faune en pleine attaque.

Rapidement, le public se disperse et s’assoit en cercle aux pieds d’une danseuse. Puis il se disperse à nouveau et se retrouve, s’agglutine dans certains espaces et rode à la recherche d’une nouvelle performance. Pendant qu’il regarde une danse, la musique du danseur d’à côté prend parfois le dessus ou les applaudissements d’un autre lui laisse penser qu’il est passé à côté d’un beau moment.

Après avoir interprété leur solo, les danseurs prennent la parole et expliquent rapidement les grandes lignes de la chorégraphie, ce qui fait son charme, ses difficultés, son importance historique. Mais déjà une partie du public n’écoute plus et se désagrège, attirée par une nouvelle grappe de spectateurs en formation. Le temps tourne et cette heure et demi passe décidément trop vite.

Ce que j’ai vu

J’ai commencé mon parcours par l’entresol et j’ai assisté à un moment magique : le prélude à l’après-midi d’un faune, successivement dansé par le même danseur dans les rôles de la nymphe et du faune. Il posait en même temps quelques mots d’explication sur les gestes les plus forts crées par Nijinski (sans toutefois commenter l’orgasme final du faune sur son rocher, mais ça, c’était plutôt clair).

Son acolyte a dansé deux solos d’Isadora Duncan, des années 1920, dont l’ étude révolutionnaire.

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Pour cette photo, je donne ma langue au chat.

Puis dans les escaliers j’ai vu une incroyable improvisation sur l’univers Tex Avery, exécutée avec panache par un danseur barbu dont j’ignore le nom. J’y ai aussi vu la danse de la sorcière de Mary Wiggan que j’aime tant. Entre ça et le faune, j’étais gâtée.




Au premier balcon j’ai vu la belle Anémone Arnaud, qui honorait il y a quelques années mes cours de barre au sol de son hyperlaxe présence. Elle a entre autres dansé un très beau solo de Dominique Bagouet. Je connaissais ce chorégraphe de nom et j’ai été séduite par cette danse, la pureté de ses lignes, la simplicité et la justesse de ses mouvements. Voila qui m’a donné envie d’en voir plus !

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Capture de la danse Bollywood

Une autre danseuse a repris les mouvements de Joséphine Baker ainsi qu’une danse bollywood. Là encore, j’étais aux anges !

Pour finir, j’ai un peu erré dans la galerie où j’ai vu une danseuse traverser tout l’espace en faisant de grands pas fantomatiques, solennellement accompagnée du public qui lui faisait cortège. Était-ce inspiré du défilé de l’Opéra de Paris ?

Le dernier solo que j’ai vu était une danse japonaise, assez impressionnante, d’autant plus qu’elle était dansée dans un petit couloir sans aucun recul par rapport au public.

Miroir miroir

Et bien oui, cher lecteur, comme en lisant Proust, j’ai eu l’impression de recevoir des messages très personnels pendant cette promenade. Était-ce une coïncidence ou la preuve que l’expérience était réussie ?

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Encore le faune, sans doute en train de remonter sur son rocher.

Regarder ces danseurs évoluer si près du public m’a rappelé certains shows que j’ai pu faire et les voir gérer cette proximité m’a beaucoup intéressée.

En regardant leur visage, je me demandais ce qu’ils pensaient, s’ils étaient là où s’ils se regardaient danser. J’ai parfois perçu une seconde d’hésitation, un bref regard au sol pour s’assurer de mettre le pied au bon endroit, de petites crispations sur les visages. Autant de choses qu’il est impossible de saisir lorsqu’ils sont sur scène.

Je pense souvent à cela lorsque je danse entourée du public ; je me demande quelle tête je fais et quelle tête je devrais faire. Il arrive aussi que mon regard s’accroche à celui d’un spectateur et que je sorte un instant mentalement de scène.

Voir ces grands danseurs se frotter avec succès « au réel » m’a touchée. Pas de lumière, un son de mauvaise qualité, un sol trop dur, un air un peu trop froid, un public en garde rapprochée. N’est-ce pas notre lot à nous aussi, performeurs burlesques ?

Pourquoi y aller ?

  • Pour voir les danseurs de près : ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir de si près ces chimériques créatures, apprécier leur taille, leur carrure, voir leur visage, les détails de leur mains, de leurs appuis au sol. Et puis c’est émouvant de les entendre parler, de percevoir un début de leur personnalité et non seulement le personnage incarné. Profitez-en aussi pour jeter un œil à leurs tenues de répétition, hétéroclites et souvent moins réglementaires que les justaucorps en vitrine chez Repetto. J’ai entendu une dame dans l’audience parler de « démystification ». C’est assez juste. Sans aller jusqu’à banaliser le danseur de l’Opéra, cette expérience le ramène à une certaine humanité.
  • Pour découvrir les grands moments chorégraphiques du 20e siècle dont les danses de Balanchine, Pina Bausch, Trisha Brown, Carolyn Carlson, Charlie Chaplin, William Forstyhe, Martha Graham, Jerome Robbins, Saburo Teshigawara, mais aussi des danses hongroises, des danses empruntées au disco, au voguing, au hip-hop ou au buto.
  • Pour réaliser que l’on peut danser partout et faire de tout espace une scène et, par là même, pour voir l’Opéra Garnier sous un nouveau jour.
  • Pour avoir envie de danser ! Je vous promets qu’en sortant vous serez tenté de faire des entrechats sur le quai du métro.
  • Parce que ce n’est pas cher ! 15 euros seulement pour une promenade jubilatoire d’1h30 dans l’Opéra, guidé en toute intimité par ses plus fidèles serviteurs.

    rotonde
    Je donne ma langue au chat, bis.

Mise à jour du 11 octobre

Grâce au site de revente en ligne et à ma folie du clic pour actualiser la page de résultat toutes les cinq minutes, j’ai pu mettre la main sur un précieux billet et voir de nombreux autres solos manqués la première fois.

Parmi eux :

Une délicieuse interprétation de la danse de B.B. dans « Et dieu… créa la femme ». Sans doute l’un des passages les plus marquant de ce film (pas si extraordinaire que cela, si ?), dansé ici par une ravissante danseuse aux longs cheveux blonds et au teint de poupée, Juliette Gernez. J’en ai fait une petite capture vidéo, malheureusement sans le son, je maîtrise encore mal Instagram…

Le solo de Nikiya dans la Bayadère, vu deux fois, dans la grande galerie. Que dire d’autre que « très beau », « sublime » ?

Une amusante parenthèse de Voguing, par deux danseuses en petit short, sur le balcon de l’Opéra. La précision académique de leurs gestes et leur maintien issu de plusieurs siècles de tradition classique donnaient un je-ne-sais-quoi de décalé à cette danse sortie des prisons américaines.

Le solo de Mademoiselle Guillem dans « In the middle somewhat elevated » de William Forsythe, courageusement interprété par la danseuse de la Bayadère. Je ne résiste pas à l’envie de partager ici la vidéo de son duo avec Laurent Hilaire, sans doute l’un des moments les plus électrisants de la danse du XXème siècle (rien que ça).




Une très étrange performance dans la rotonde des abonnés : « Good boy » d’Alain Buffard,  au cours de laquelle le danseur enfile une dizaine de slips les uns sur les autres avant de s’immobiliser au milieu de l’espace, par terre et de tressaillir de temps, en temps histoire de maintenir l’attention des quelques courageux spectateurs encore présents. (la plupart ayant démissionné entre le 3ème et le 5ème slip).

Neurones miroirs

J’ai été beaucoup plus mobile cette fois-ci, tentant de voir un maximum de danseurs et filant rapidement lorsqu’ils commençaient des solos que j’avais déjà vu la première fois. J’ai tout autant apprécié l’expérience, bien que l’effet de surprise ait disparu.

Je dansais le soir même au Pigalle, invitée par Minnie Valentine et Louise de Ville et je me suis sentie portée par toute l’énergie des danseurs de l’Opéra. Mes mouvements m’ont semblé plus grands, plus libres, mon rapport à l’espace plus décomplexé. Cela peut paraître étrange, mais voir régulièrement d’excellents danseurs sur scène me donne l’impression d’acquérir de super-pouvoirs.

J’ai entendu parler récemment des neurones miroirs. Cela serait trop long d’expliquer ici en quoi ils consistent, mais peut-être que dans un prochain article, je me pencherai sur ce passionnant sujet flirtant avec le « ne rien faire et laisser faire ».

 

 

2 commentaires

  1. Merci,Sucre,de nous prendre par la main,de nous faire partager ces  » messages personnels  » ressentis à travers couloirs et superbes salles de l’Opėra Garnier,admirant ces  » elfes  » que sont danseuses et danseurs,ces artistes pourtant de chair et de sang. Je vais de ce pas ( ce petitpas,hihihi !) voir le site Opéra.

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