Il était midi quand j’ai pris ma bicyclette pour filer jusqu’à l’Opéra Garnier. C’est contre un terrible vent de face, ennemi des cyclistes pressés, que j’ai lutté pour arriver à temps au concours annuel du corps de ballet de l’Opéra de Paris. Au programme, les classes des Coryphées et des Sujets femmes.
J’avais déjà eu la chance d’y assister l’an dernier (à lire ici) et j’étais ravie de remettre ça cet automne pour suivre l’évolution de mes danseuses préférées, vues depuis dans de nombreuses productions, j’ai nommé : Héloïse Bourdon, Lydie Vareilhes, Ida Viikinkoski et Hannah O’Neill.
Avant-propos : ceci n’est pas un blog de danse officiel, soyez prêts à lire une prose fantaisiste, nourrie d’avis tout à fait subjectifs.
Sous le plafond, l’angoisse
Ce qui n’a pas changé par rapport à l’an dernier, c’est le stress omniprésent sous la coupole de l’Opéra aux deux tiers vide. Ce qui a changé pour moi, c’est ma place : cette fois-ci j’étais là où je ne m’étais encore jamais assise : au balcon, pile en face de la scène, la place absolument parfaite. J’étais à deux rangs d’Aurélie Dupont, c’est vous dire. Non, ceci n’est pas du name dropping gratuit mais juste un soubresaut textuel d’incorrigible groupie.
Quand la sonnerie a commencé à retentir, tout le monde a gagné sa place. Dans l’air flottaient des Serges Lutens, assez vite rejoints par une aigre odeur de transpiration, pas celle due à l’effort physique, qui peut avoir son charme, mais plutôt celle de l’animal acculé face à son prédateur. Je dois avouer que j’y ai un peu contribué. J’avais comme une envie d’attacher ma ceinture, prête à décoller.
Même si je ne connaissais aucune danseuse personnellement, j’ai été tétanisée au bout de quelques minutes, bien avant que le rideau ne se lève, vérifiant compulsivement que mon téléphone soit bien éteint. J’ai du mal à l’expliquer, mais de même qu’un grand blessé de guerre ne supporte plus d’entendre le moindre pétard, j’ai l’impression que mon corps et mon esprit ne peuvent plus se retrouver en situation de concours (oui, j’ai moi aussi passé des concours, mais d’un autre genre, beaucoup moins artistiques). Bref, j’ai assez mal vécu le début du « spectacle ».
Pour me tranquilliser, j’ai un peu parlé aux dames assises derrière moi, d’anciennes professeurs du conservatoire de Paris, très VIP. Elles aussi m’ont confié ressentir la pression ambiante, même si elles semblaient mieux tenir le choc que moi.
Le rideau s’ouvre
Et puis le jury s’est installé à sa longue table, dans le parterre déserté. Le pianiste a réajusté son siège et le rideau s’est levé sur un fond de scène bleu, sans décor. Le manège a démarré.
Les Coryphées
La variation imposée de cette année était celle de l’acte I de Raymonda, dite des « Pizzicati », qui semblait ma foi fort délicate et dont la mélodie m’est restée longtemps en tête.
Chacune a fait de son mieux, pizzicatant deci delà avec courage. J’ai trouvé que Laurène Levy, Lydie Vareilhes, Laure-Adélaïde Boucaud et Ida Viikinkoski y ont amené un supplément de présence et de charme.
Et puis chaque danseuse a présenté sa variation libre, mon moment préféré au cour duquel les différents costumes du répertoire virevoltent.
Mes coups de cœur :
- Laurène Levy, The four seasons, Variation de l’Automne, Jerome Robbins
Elle a déboulé sur scène enveloppée d’une légère tunique rouge orangée et a virevolté comme un feu follet avec grâce et justesse. C’était vraiment très beau, racé et joyeux. Dommage que cette danseuse n’ait pas été promue. De mon humble point de vue, elle avait également fait un sans faute sur la variation imposée et je crois que cet opinion était partagé par mes voisines de derrière beaucoup moins néophytes. Mystère du jury. - Lydie Vareilhes, Dances at a gathering, Variation de la Danseuse en vert, Jerome Robbins
Comme l’an dernier, la variation a été annoncée avec un délicieux accent british : « Dancise at heu gazeringue ».
Sur mon petit carnet (oui, j’ai pris des notes, j’avais l’air très appliqué), j’ai noté : précise, musicale, espiègle. Elle était tout simplement magnifique, elle prenait le temps d’exister au delà des notes et des gestes, respirait dans les belles poses offertes par la chorégraphie. Quelle présence ! J’avais déjà repéré cette danseuse dans L’histoire de Manon et elle m’avait charmée. Je suis fan, plus que jamais.
Voici cette très belle variation, dansée par Agnès Letestu :
https://www.youtube.com/watch?v=2iZKny3M_MA - Ida Viikinkoski, Diane et Actéon, Agrippina Vaganova
Dans la variation imposée, j’avais remarqué son port de tête de reine et ses mouvements amples et bien dirigés. Pour la petite histoire, l’an passé j’étais à côté d’elle au balcon quand elle a appris qu’elle était promue Coryphée. J’attendais donc avec impatience de la voir sur scène. Je dois dire que je n’ai pas été séduite par son choix de variation libre. Je trouve cette danse un peu kitsch. Mais je ne connais pas du tout ce ballet et il m’intrigue. Il me semble cependant qu’elle en a fait une interprétation très propre. Quelle rapide progression pour cette jeune danseuse qui réussit deux années de suite les concours ! - Marion Barbeau, La belle au bois dormant, Variation de la vision, Rosella Hightower
Si elle ne m’a pas transcendée dans sa variation imposée, cette danseuse m’a transportée en Belle au bois dormant. Quelle grâce ! Ses bras flottaient, ses déplacements étaient comme ouatés, infiniment délicats et musicaux. J’ai trouvé son interprétation élégante, majestueuse, en un mot réussie. - Laure-Adélaïde Boucaud, Grand Pas, Twyla Tharp
Impossible de passer à côté de cette apparition revigorante, très B.B. dans Et dieu… créa la femme. Exotique, sensuelle, joueuse. Quart d’heure d’initiés : j’ai entendu Jean-Guillaume Bart se ravir d’un tel choix à la sortie du concours : « C’était très bien de proposer ça, on s’est tous dit : Ah oui, on avait oublié qu’on avait ça dans notre répertoire alors que ce ballet est génial ! » Je ne peux qu’approuver, d’autant que l’accumulation de Robbins (représentant 1/3 des variations libres) m’a un peu fatiguée. Même s’il faut plaire à la direction, trop de Robbins tue le Robbins ! - Fanny Gorse, Tchaïkovski-Pas de deux, George Balanchine
Son passage était bref mais quel élévation de jambe ! Quelle ampleur ! J’ai aimé la voir allier suspension, respiration et nervosité.
Bravo à Marion Barbeau, Ida Viikinkoski, Fanny Gorse et Lydie Vareilhes qui ont été promues Sujet.
Les Sujets
Je n’ai malheureusement pas trouvé de vidéo de la variation imposée des Sujets. C’était la variation du Printemps de The four seasons, …Jerome Robbins. Et oui, Robbins, encore. Pour remplacer ce document, je vous propose cet amical clin d’œil à Benjamin Millepied:
J’ai trouvé que toutes les danseuses se tenaient dans cette variation imposée, même si j’ai peut-être préféré les prestations d’Hannah O’Neill et de Sae Eun Park (quelle fraîcheur chez cette ballerine !).
J’attendais impatiemment les variations libres, prête à voir du grand spectacle.
Mes coups de cœur :
- Hannah O’Neill, Raymonda, Acte III, variation de Raymonda, Rudolph NoureevJe l’ai aimé dès son entrée en scène, ou plutôt, j’ai aimé son costume rutilant de brillants. Je suis une fille facile, je sais. Mais j’ai aussi aimé sa danse que j’ai trouvé très assurée et qui ne manquait pas de caractère. Je l’avais justement regardé la veille dansée par Sylvie Guillem. J’ai vérifié, Hannah O’Neill a bien fermé sa cinquième de départ, presque comme Mademoiselle Guillem. Appréciez la captation de l’étoile et le charme discret de la diction du commentateur, digne de l’Année dernière à Marienbad.
https://www.youtube.com/watch?v=99b2SvdhSQQ - Sae Eun Park, Other dances, 2ème variation, Jerome Robbins
Encooooore du Robbins ! Oui, mais. Oui mais Sae Eun Park était la grâce incarnée et je me suis vite retrouvée prise par sa danse. Quelle magnifique ballerine ! - Marine Ganio, Vaslaw, John Neumeier
Voila un choix qui a du chien. Je ne connaissais pas ce ballet mais cet aperçu m’a donné envie d’en voir plus. J’ai trouvé que cette danseuse avait beaucoup de présence et que sa danse était très belle. Trois mots pour la décrire : assurée, mature, enracinée. - Charline Giezndanner, Roméo et Juliette, Acte I, variation de Juliette, Rudolph Noureev.
J’ai tout simplement aimé son passage, je suis bien incapable de détailler mon ressenti. Je connais peu ce ballet et cette danseuse, mais ils m’ont séduite.
Mais aussi
- Léonore Baulac, Other dances, 1ère variation, Jerome RobbinsEncore, encore, encore du Robbins. Mais je dois reconnaitre que l’interprétation était pleine de charme et que Léonore Baulac m’a tenue tout du long (il m’a pourtant semblé que cette variation était plus longue que les autres).
J’ai beaucoup lu qu’elle était l’une des danseuses favorites de la « génération Millepied » et elle est l’une des deux danseuses à être passée Sujet lors de ce concours. Je lui aurais peut-être préféré une autre danseuse, mais très honnêtement, j’ai aimé ses prestations. Elle a quelque chose d’à la fois solaire et enfantin. - Héloïse Bourdon, Other Dances, 2ème variation, Jerome Robbins
C’était ma grande favorite, suite à son incroyable variation libre de l’an passé. Pourtant, elle ne m’a pas transcendée cet après-midi. Elle a très bien dansé, mais je n’ai pas eu le pincement ressenti lors du dernier concours. Elle n’a pas été nommée Sujet et je le regrette (classée 3ème pour 2 places distribuées), car pour l’avoir vu en scène plusieurs fois, je suis tout à fait séduite par sa présence (et ses bras !). J’espère vraiment la voir monter l’an prochain. - Eléonore Guérineau, Les mirages, Variation de l’Ombre, Serge Lifar
C’était très intéressant de la voir précisément interpréter la danse choisie et magnifiée par Héloïse Bourdon l’an passé. Elle l’a fait dans un autre style, avec, m’a-t-il semblé, d’autres lignes, d’autres directions. Il faut dire que ces deux danseuses n’ont pas le même physique ni la même énergie sur scène. J’ai aimé sa prestation et il faut absolument que je vois Les mirages en entier un de ces jours.
Bravo à Hannah O’Neill et Léonore Baulac qui ont été promues premières danseuses. Elles dansent désormais juste sous le ciel des étoiles.
Pour aller plus loin…
Les ballets de Noël
Si ce récit écrit pour l’occasion d’une plume trempée dans l’adrénaline et l’ocytocine vous a inspiré, je vous encourage à aller voir danser ces talentueuses jeunes femmes sur scène.
Les prochains ballets :
- La Bayadère : le grand classique incontournable et assurément séduisant, du 17 novembre au 31 décembre 2015
- Le sacre du Printemps de Pina Bausch, dans le programme Wheeldon / Mc Gregor / Bausch, du 1er au 31 décembre 2015
L’exposition consacrée à Marc Chagall
Et si vous ne pouvez/souhaitez pas vous rendre à Garnier, vous pourrez toujours admirer en détail son plafond dans l’exposition Marc Chagall, le triomphe de la musique qui se tient à la Philarmonie de Paris jusqu’au 31 janvier 2016.
J’y suis allée et j’ai beaucoup aimé cette première pièce consacrée au plafond de l’Opéra. On y voit aussi de nombreux costumes crées par le peintre. J’ignorais qu’il avait été si impliqué dans les créations musicales et chorégraphiques.
Je vous souhaite de belles découvertes et encore bravo à toutes les danseuses !
nb : J’ai trouvé les photos des heureuses élues sur le blog Danses avec la plume dont je vous recommande la lecture si la danse vous passionne.
Merci pour ce billet intense et délicat, qui nous fait encore plus aimer la danse classique et son univers.
Merci Sélim ! Allez les voir sur scène si vous le pouvez :)
Quel superbe compte rendu, merci beaucoup.
(Et tu étais assise à deux rangs d’Aurélie Dupont! AAAAAAH! La chance!)
Merci !
J’avais bêtement envie de lui demander un autographe. Heureusement (?) elle a disparu l’après-midi et je n’en ai pas eu l’occasion.
Merci ! Tout est si passionnant et agréable à lire,à regarder. Vidéos et images superbes,et votre expression littéraire à laquelle j’adhère pleinement,ayant l’impression que c’est moi qui écris,qui raconte,mais en beaucoup mieux,hihihi !
Bien que provinciale,j’ai moi aussi une passion pour l’Opéra de Paris,ne serait-ce que le groupe » La Danse » de Carpeaux… Mais aussi le spectacle » les Ballets Russes « … Et le souffle puissant,expressionniste de la grande Pina. ( le Sacre,biensûr ). J’aime,dans votre article,le mot COURAGE ,associé à toute prestation d’artiste.
Merci Claire ! Merci pour ces compliments et ces encouragements :)
Justement, je suis allée voir le Sacre de Pina B. il y a trois semaines et je pensais faire un petit post à ce sujet, groupé avec mes impressions sur la Bayadère vue quelques jours avant.
Le mot COURAGE me paraissait le mieux choisi pour définir ce moment. Il peut, j’imagine, définir le fil rouge du travail de chaque artiste et à fortiori celui de ces petits rats bondissant dès le plus jeune âge…
Bonjour! Aurais-tu un bon plan pour pouvoir y assister également ?
merci
Bonjour Al,
Malheureusement non, pas de bon plan, si ce n’est, peut-être, offrir des fleurs à la sortie des artistes à ton danseur préféré ?